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Histoire et culture
Mgr Garnier et Goudji à Luçon par Jacques Santrot
Mgr Garnier et Goudji à Luçon par Jacques Santrot
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Mgr Garnier et Goudji à Luçon par Jacques Santrot

Dans "303 TRIMESTRIEL N°163 ART SACRÉ"

1990. Entrant pour la première fois dans sa cathédrale, ce successeur de Richelieu dans « l’évêché le plus crotté de France » projeta d’en réaménager le chœur. Il fit appel pour cela à l’orfèvre Goudji, rénovateur de l’art sacré  en Europe.

Membre de la Commission épiscopale pour la liturgie, le P. François Garnier était sensible à l’adaptation des églises aux préceptes du concile Vatican II. Coadjuteur en 1990, il devint évêque de Luçon en 1991. En 1993, l’année de l’exposition « De pierre, de métal et de feu, Goudji, orfèvre contemporain » au musée Dobrée, à Nantes, il se rendit à Chartres où son ami, Mgr Jacques Perrier, venait d’inaugurer le Roc de lumière, l’autel liturgique de la cathédrale commandé à Goudji avec un nouveau mobilier (1992), première commande passée à l’artiste pour un espace déterminé. En 1987, pour le colloque international et interconfessionnel sur l’art religieux contemporain à l’abbaye royale de l’Épau (Sarthe), le Comité national d’art sacré, sur la recommandation de François Mathey, conservateur du musée des Arts décoratifs de Paris, lui avait commandé, pour le Fonds national d’art contemporain, la cuve baptismale, l’aiguière et le chandelier pascal aujourd’hui déposés à Notre-Dame de Paris. Ce fut la seule commande de l’État à ce sculpteur d’origine géorgienne, plus jeune membre – à vingt-trois ans – de la section moscovite de l’Union des Artistes de l’Union soviétique (1964), naturalisé français en 1978. Sans culture chrétienne avant l’adolescence, Goudji est aujourd’hui l’un des premiers créateurs d’art sacré dans l’Europe catholique, grand connaisseur de la symbolique chrétienne d’Orient et d’Occident.

Le programme : « Pour une plus grande gloire de Dieu ! »

« Qu’est-ce qui peut bien faire plaisir à Dieu ? » : cette question ouvrait l’homélie de l’évêque pour la consécration du nouvel autel. Comme pour le curé d’Ars, rien n’était assez beau pour Mgr Garnier qui voulait adapter sa cathédrale à la nouvelle liturgie : devant le riche autel à baldaquin de Johann-Sebastian Leysner (1775), on utilisait l’autel liturgique commandé au menuisier Guilbot, des Magnils-Reigniers, par les familles des prêtres ordonnés en 1938. Il barrait le chœur à hauteur des stalles, laissant peu de place aux cérémonies. Le chœur en paraissait tout étriqué. « Les éléments de ce chœur sont ternes, désuets et peu fonctionnels, écrivait l’évêque. Je me lance à la recherche d’un nouveau Leysner. » Il se rendit à Notre-Dame de Chartres pour découvrir l’autel de Goudji. L’évêque de Luçon fut conquis. « Mon choix de Goudji a été celui de l’admiration, de la confiance et de l’amitié. » Mais François Garnier était un modeste, et modeste était sa cathédrale. Des travaux récents avaient épuisé les ressources de son diocèse. L’intervention de Goudji ne pouvait être tonitruante mais devait s’inscrire harmonieusement dans un espace lumineux mais contraint, dans l’architecture multiple de cette vieille abbatiale bénédictine.

« Frappé par la pauvreté d’un mobilier liturgique qui n’est pas à la hauteur de sa fonction », l’évêque souhaitait un nouveau mobilier, « intemporel, qui ne vieillisse pas », s’inscrivant dans la croisée du transept, l’espace le plus vaste et le plus éclairé de la cathédrale. Son programme fut la sobriété. Pour l’ambon, refusant à Goudji la richesse du Tétramorphe de Chartres – trop important pour Luçon –, l’évêque retint la seule référence à Jean l’évangéliste. Il exprima le parallèle nécessaire entre « les deux tables de la tradition chrétienne que nous avons voulues semblables : la Table de la Parole [l’ambon], la Table du Corps et du Sang [l’autel] ».

Un projet « très personnel »

L’évêque « rêvait » d’un mobilier qui fût beau et qui eût du sens : « Mon souhait serait […] de faire réaliser une œuvre d’art qui soit en bonne harmonie avec l’architecture, l’élancement des colonnes, la clarté de l’espace central, et surtout de faire que la beauté des éléments ouvre les cœurs à la présence de Dieu. » Mais il ne voulait pas que ce projet pesât sur les fragiles finances du diocèse. Si Goudji offre à l’Église une partie de son travail – ici, le calice épiscopal et la croix d’autel –, il fallait trouver les ressources nécessaires. En application de la loi de séparation des Églises et de l’État, s’il autorise de telles créations dans un monument historique, jamais l’État – ni les collectivités, d’ailleurs – ne contribue à de tels aménagements. Il fallait faire appel à la générosité des fidèles.

L’évêque mena lui-même la recherche de mécénat, mais dans la discrétion, ses archives en témoignent. Il s’adressa au président de la Chambre de commerce et d’industrie de la Vendée. Après avoir rencontré l’évêque et Goudji, Yves Tesson proposa à son groupe, d’Olonne-sur-Mer, de s’associer à ce projet, et son fils, Jean-Eudes, qui venait d’en prendre la présidence, finalisa ce don. Cet apport initial – le tiers des 600 000 francs nécessaires – fut l’élément décisif qui permit la réalisation du rêve de l’évêque et la difficile quête du financement. De nombreux Vendéens, des congrégations, mais aussi la famille de l’évêque et ses amis de Bourgogne, contribuèrent à cette réussite. À Mme Chaussière, qui offrit le chêne, âme de l’autel et de l’ambon, l’évêque écrivit : « Votre geste […] s’inscrit en totale harmonie avec la manière dont j’ai voulu que soit financé cet investissement. En effet, depuis le début, à cause du geste désintéressé du premier et principal donateur, j’ai tenu à ce que le financement soit totalement assuré d’une manière discrète et désintéressée par des chrétiens heureux de s’associer à la réalisation d’une œuvre d’art religieuse qui redonne beauté et sens à la Cathédrale […]. L’autel gardera la mémoire discrète de tous les donateurs. »

En février 1995, après une information de l’évêque aux chrétiens de Vendée, « en réponse à ceux qui regrettent une telle dépense ainsi employée, le curé de la cathédrale rédige une note rappelant que tout le financement a été couvert par des dons anonymes, et n’a donc pesé en rien sur le budget réservé à la vie de l’Église diocésaine ». Le nom des donateurs fut scellé par Goudji sous la pierre d’autel contenant les reliques de saint Philbert de Noirmoutier, de saint Bénigne de Dijon et de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, mort à Saint-Laurent-sur-Sèvre.

La création

En décembre 1993, Mgr Garnier demanda à Goudji « un ensemble de mobilier pour la cathédrale de Luçon », pour offrir à Dieu « un chœur digne de son cœur ». Dès le 17 janvier 1994, au sortir de l’exposition de Nantes, l’artiste se rendit à Luçon pour rencontrer l’évêque et s’inspirer des lieux. D’accord sur le programme, ils visitèrent la carrière de Pontijou, près de Blois, dont le calcaire blanc devait être – pour la première fois – associé à l’argent martelé et aux « pierres dures ». Le 6 juillet, Goudji et l’évêque présentèrent des esquisses à une commission associant l’inspecteur des monuments historiques, le conservateur départemental des Antiquités et Objets d’art, le donateur principal, des responsables des Comités national et diocésain d’art sacré, l’archiviste diocésain et des représentants du recteur de la cathédrale. Le projet fut légèrement modifié ; l’ambon, inspiré de l’autel carré ; le décor de la cathèdre, simplifié. Le fait qu’il ne touche ni au sol, ni à l’architecture allégeait les procédures.

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Au centre de la croisée, Goudji posa directement sur le damier noir et blanc un autel d’argent et de calcaire, carré comme la Jérusalem céleste et les premiers autels chrétiens. De deux tons, les neuf dalles de son plateau dessinent une croix grecque. Seize colonnes couplées d’argent battu font référence à l’architecture romane du transept. Leurs chapiteaux sont incrustés d’aventurine – verte, symbole d’espérance – et ornés d’une colombe de la paix. « Mon œuvre vient s’insérer humblement dans une histoire », écrit Goudji. En écho à la table du Sacrifice, l’ambon est un pilier carré de calcaire sur une âme de chêne dont les quatre colonnes d’angle, semblables à celles de l’autel, portent le lutrin : ce plateau de verre moulé à la cire perdue par le maître verrier Antoine Leperlier repose sur les ailes d’argent et de pyrite de l’Aigle de Patmos, au regard d’œil-de-tigre, figurant Jean l’évangéliste – « celui qui voit » –, associé au rédacteur de l’Apocalypse. Il pivote, vers l’autel, la cathèdre ou les fidèles.

Déplacée en 2004 contre le pilier nord-est du transept – au sud-est, elle était cachée par la chaire à un tiers des fidèles –, la cathèdre, qui donna son nom à l’édifice, est un fauteuil de fer aux accoudoirs de calcaire sur deux ordres d’arcades romanes en argent et jaspe rouge bicolore. Son haut dossier prolonge les nervures du pilier gothique. Elle portait les armoiries de Mgr Garnier, inspirées d’un relief paléochrétien du Louvre-Lens (MNC 1418, Proche-Orient, ve siècle). Couronné de deux félins évoquant la tribu de Juda, l’écusson d’argent et de sodalite bleue associe la croix de Jérusalem – une croix latine cantonnée de quatre petites croix grecques potencées, qui rappellent les nombreux voyages du prélat en Terre sainte – au poisson de saint Athanase, en jaspe australien et vermeil, qui, par son nom grec, est l’acronyme du Christ sauveur des hommes, mais fait aussi allusion à la phrase du patriarche d’Alexandrie († 373) dans sa Vie d’Antoine : « Au désert, l’évêque est comme un poisson dans l’eau. » Après l’élévation de Mgr Garnier à l’archidiocèse de Cambrai – où Goudji interviendra également –, son successeur, Mgr Michel Santier, commanda à Goudji l’emblème qui orne aujourd’hui la cathèdre : un écu d’émail bleu incrusté d’une croix latine en argent, « fleuronnée » d’aventurine et frappée de la colombe du Saint-Esprit, en or sous une feuille de cristal de roche givré (2004).

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Fig. 8. Luçon, pied de la croix d'autel, détail, Goudji, 1995, JS, IMG_6605.jpg © a
Fig. 8. Luçon, pied de la croix d'autel, détail, Goudji, 1995, JS, IMG_6605.jpg
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Portée par quatre félins, la croix d’autel en argent battu, pattée d’aventurine et nervurée, porte en son centre une fenêtre carrée en cristal de roche, où les instruments de la Passion, en or, apparaissent par transparence. Le calice épiscopal est une coupe d’argent au pied évasé sur un octogone incrusté d’aventurine et de quatre colombes, symboles d’espérance et de paix. Son nœud pseudo-sphérique est incrusté de quartiers de cristal de roche givré à inclusions de tourmaline.

Un devis complémentaire du 23 octobre 1995 avait été demandé par l’évêque pour une patène, un chandelier pascal, une couverture d’évangéliaire, un encensoir et sa navette, une paire de burettes et deux chandeliers d’autel. Faute de financement, il n’y eut pas de suite. Seule, une patène ovale en argent à l’aile de jaspe rouge gravée d’une fine croix latine fut commandée sur le reliquat du budget.

En 2004, Mgr Michel Santier, le successeur du P. Garnier, commanda à Goudji un fauteuil pour le recteur de la cathédrale, deux sièges de célébrants et quatre tabourets en fer forgé patiné, deux porte-bougie d’autel et l’emblème à la croix. Placé au pied du pilier sud, ce mobilier forme désormais le pendant de la cathèdre épiscopale.

Trace humaine

Le 21 mai 1995, l’évêque et l’artiste étaient réunis dans la joie pour la consécration du nouvel autel, où convergent tous les regards. Toujours dans la modestie, Mgr Garnier avait allégé le programme des festivités et limité les invitations. Près de deux mille personnes se pressèrent pourtant autour de l’évêque et de l’artiste. Lors du scellement des reliques, dans la cathédrale assombrie par le mauvais temps, un furtif rayon de soleil vint frapper la tête de l’artiste. Mgr Garnier fit alors remarquer au public : « Regardez Goudji, il en est tout illuminé ! »

Vingt-cinq ans plus tard – une génération –, nous pouvons éprouver « l’expérience précieuse d’une confiance mutuelle entre le commanditaire et l’artiste qu’il a choisi de faire travailler », l’espérance d’un prêtre et celle d’un orfèvre – devenus complices – qui mirent leurs talents au service de leur foi et ajoutèrent une pierre nouvelle au patrimoine commun, « pour l’éternité ».


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